Article pour la revue Présence - Réponses à 3 questions

Article de vulgarisation paru en 2015 pour la revue Présence. 
Ici en version intégrale.

3 questions à Maxime genévrier

Qu'est-ce qu'une ville aujourd'hui ?

Récemment dans un train en gare de Lyon-Saint-Exupéry, une petite fille demande à sa mère «Nous sommes à arrivés à Lyon ?». La mère acquiesce mais alors la petite rétorque «Mais il n'y a que des prés autours?» et sa mère de lui répondre vivement qu'il s'agit de la gare de l'aéroport et qu'il faudra prendre un tram pour se rendre «en ville».Cette petite histoire est banale et bien compréhensible. La «ville» a historiquement toujours été le lieu de l'économie et du flux, des premières villes mésopotamiennes jusqu'à Las Vegas. Or, l'aéroport et la gare ont toujours eu des liens économiques directs avec la ville, ils en sont les moteurs. D'où le raccourci de la mère qui acquiesce «oui nous sommes arrivés» sous-entendu «à Lyon».A Lyon oui, mais pas en ville, car il est indéniable, comme le fait remarquer la petite fille, que l'aéroport n'est pas situé dans un ensemble architectural qu'elle identifie comme «ville » mais plutôt comme la campagne : des tracteurs, des prés, des champs et des routes.Après des siècles d'opposition ville-campagne, il y a pourtant aujourd'hui peu de raison de délimiter les deux1 : les différences entre les modes de déplacement, d'habitat et de travail dépendent beaucoup moins qu'auparavant de la position géographique mais plutôt d'un ensemble de facteurs très différents (économique, sociologique, etc.). On peut être ingénieur dans un laboratoire du centre de Toulouse, habiter une vieille ferme retapée et se déplacer en voiture, mais on peut aussi être jeune instituteur dans le bocage breton, habiter le centre de Rennes et se déplacer en bus. Lequel des deux est urbain ?

Quels sont les modèles de la ville ?

Depuis la fin du modernisme, il n'y a plus vraiment de modèle de la ville. A partir des années 1950, les villes, que l'on appellera ainsi métropoles se sont étendues en regroupant les centres historiques, les centres commerciaux, les «lotissements» pavillonnaires ou les grands ensembles d'habitat social. Ce tissu urbain hétéroclite a généré des espaces hybrides dont il est difficile de dire leur nature : les parkings, les galeries marchandes, les jardins communs aux abords des lotissements, etc… Tout ce phénomène d'extension économique et d'abolition des frontières physiques de l'urbanité est ce que l'on appelle « métropolisation », mettant la ville au centre de flux économiques, énergétiques et démographiques quotidiens qui dépassent largement l'échelle du centre urbain et posant de nombreux problèmes de planification, d'efficience et finalement de qualité de vie.

Comment les urbanistes conçoivent la ville ?`

En réaction à cette lecture de l'urbain, dans ma pratique d'urbaniste il me semble aujourd'hui distinguer trois écoles dans les modes de faire la ville contemporaine.L'école architecturale, héritée lointain de la pensée post-moderne. Ainsi, David Mangin et la ville franchisée2, Portzamparc et l'îlot ouvert, Philippe Panerai et la résidentialisation. La forme urbaine est au cœur de leur action et consiste en la reconstitution des attributs clés de la ville classique mais réinterprétés de manière contemporaine : la rue et la densité bâtie, la mixité, la qualité de l'espace public, l'accès aux transports en commun.L'école opérationnelle, héritée de la décentralisation et des instituts d'urbanisme qui consiste à voir le projet urbain plutôt comme un jeu d'acteurs (les habitants, les politiques, les promoteurs, les commerçants) qui vont interagir pour produire de la ville. La ville devient alors autant l’interaction abstraite entre les êtres humains qu'un lieu physique. Ainsi Laurent Théry pour son action à Nantes-Saint-Nazaire, Lille et Marseille.Une 3ème école - que j’appellerai post-crise – émerge en se fondant sur la crise écologique et économique mondiale et en fondant le projet urbain sur la sobriété écologique, la réappropriation de l'espace urbain par les habitants et par le développement d'une économie locale.Tous ces modes d'actions ont leur légitimité et sont mêmes complémentaires, et font finalement fi de la question de la limite de la ville (posée par la petite fille), pour aller vers plus de vie, plus d'interactions et vers des espaces où il fait bon vivre.

1Michel Lussault : professeur à l'ENS Lyon. Séminaire « les entrées de ville » au Ministère de l'Ecologie du Développement Durable et de l'Energie – 16/10/2012
2David Mangin : la ville franchisée - 2004
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