Doit-on supprimer les rocades des petits bourgs ?

« ON NE REND PAS UN BOURG ATTRACTIF SI… »

Au cours des projets de revitalisation de centres-bourgs que j’ai le plaisir de réaliser, la question des nuisances des voiries est essentielle. La pollution, le bruit, le danger même, que représentent les véhicules motorisés, sont souvent au cœur des réflexions et à la source des arguments de « bon sens » qui vont justifier les pires “contre-sens” dans l’action urbaine. Non pas directement parce que l’on ne parvient pas à gérer les nuisances in situ, mais plutôt l’inverse : parce qu’au nom de la gestion de ces nuisances on justifie les aménagements urbains les plus pénalisants pour la vitalité des centres-bourgs, au premier rang desquels les rocades de contournement.

Il ne s’agit pas ici de parler des problèmes posés par la voiture en tant que telle, un ouvrage excellent comme « Comment la France a tué ses villes » (Olivier Razemon, octobre 2016) montre très bien son impact sur la ville contemporaine, ni de reprendre l’historique dénoncé par David Mangin (La Ville franchisée, Du Far West à la ville) ou sur ce même blog. Il s’agit de remettre en cause l’argument prétendument imparable du poid-lourd, danger pour le piéton, justifiant la périphérisation des bourgs.

Aujourd’hui, en ouvrant à l’urbanisation des aires immenses autrefois agricoles, ces rocades construites à prix d’or, ont été les premières pierres de l’urbanisme périphérique post seconde guerre mondiale. Lequel est aujourd’hui le problème essentiel pour la dévitalisation des centres-bourgs, tel que le rapport Bonnet* l’expose dans son paragraphe emblématique – extrait :

 «On ne rend pas un bourg attractif si on fabrique, à quelques centaines de mètres, une concurrence (déloyale) en offrant des hectares de zones AU destinés aux pavillonneurs ;

On ne rend pas un bourg attractif si on installe, à quelques kilomètres, des surfaces commerciales importantes qui, faisant directement concurrence aux commerces du village, au marché, les feront sans aucun doute fermer tour à tour ;

On ne rend pas un bourg attractif en développant des infrastructures routières qui, outre leur coût pour la collectivité, rendront mieux accessible des zones résidentielles périphériques, les nouveaux habitants allant directement se servir dans la ville proche lors de leurs déplacements pendulaires quotidiens ;”.

LE PATIENT QUI ARRÊTE DE COURIR ET SE MET À FUMER

Bien sûr, il n’est pas toujours chose aisée que de traiter les nuisances in situ. Lorsque l’on travaille sur les flux poids-lourds dans une rue passante et étroite de petit bourg, concilier les usages piétons est parfois extrêmement difficile. Et l’on connait bien, en réunion de travail, cette remarque souvent justifiée venant d’un participant (élu, habitant, usager, commerçant ou même partenaire institutionnel) : « Dans cette rue, je ne laisserai pas traverser mon enfant… ». On peut évidemment comprendre cette réflexion, mais l’action-réponse qui consiste à déboucler les flux poids-lourds en créant une rocade, et se faisant, détourner tous les flux motorisés est un non sens pour la vitalité du centre-bourg. Des solutions existent pour résoudre les nuisances in situ, comme de nombreux ouvrages** et exemples le montrent aujourd’hui. Il reste toujours des frictions, des risques, mais ils font partie de la ville…

Transposé en métaphore médicale, tout se passe comme si une personne souffrant d’asthme en faisant du sport se disait « je vais arrêter de faire du sport et me mettre à fumer, ce sera moins douloureux et plus agréable ». Pour ne plus subir la gêne des poids-lourds, les villes souscrivent à l’addiction de la périphérisation, qui les « tue » en retour selon le mot d’Olivier Razemon.

RETIRER LA MAIN DE L’ENGRENAGE AVANT QU’IL NE SOIT TROP TARD

Le maire de la ville de Cahors (parmi les villes au nombre de commerces fermés les plus faibles de France) l’a bien dit au cours des assises de la revitalisation qui se sont tenues à Bercy le 28 mars dernier, sa ville bénéficie de 2 facteurs qui sembleraient aggravants de prime abord : elle est entourée de relief et du Lot qui ont empêché les extensions périphériques (au moins à l’ouest, au sud et à l’est) et elle est relativement éloignée de Toulouse et n’est donc pas sous influence directe de la métropole. 

C’est tout l’inverse de la foi en une urbanisation donnant la priorité à la rapidité et à la fluidité des flux motorisés dont les poids-lourds.
C’est tout l’inverse aussi de l’idée qu’une topographie qui délimite un espace est aussi une topographie qui enclave.

Cahors a été “forcée” de ne pas céder à la périphérisation totale et cela l’a sauvé, préservé. C’est pourquoi, bien qu’évidemment provocatrice il semble aujourd’hui intéressant de poser la question : doit-on fermer des rocades de petits bourgs en France ? Si l’on sait que les rocades tuent (des villages), peut-on revenir en arrière quand cela semble possible ? Bien sûr il ne s’agirait pas de couper l’accès à la voirie pour les habitants et les commerces qui existent, mais de nombreuses villes ont réalisé des infrastructures qui aujourd’hui ne desservent pas encore de logements ou des commerces. Dès lors, est-il trop tard ? Ces espaces pourraient être des sites féconds d’espaces d’agréments, de parcs linéaires… 1000 projets sont possibles !
La main dans l’engrenage a alors été mise mais il est peut-être temps de la retirer. Ou pour reprendre la métaphore : la première cigarette a été allumée, doit-on fumer tout le paquet ?

Ci-dessous des exemples parmi tant d’autres de rocades non encore urbanisées mais donc l’impact négatif sur le centre-bourg à moyen terme est plus que probable.