Le Bazar de l’Hôtel-de-ville suivra-t-il le destin de l’Empire State Building ?

(En mai 2023, une polémique apparaît autour du projet d'extension du BHV Maris, par exemple reportée dans cette vidéo :
https://www.bfmtv.com/paris/replay-emissions/bonjour-paris/paris-le-projet-d-extension-du-bhv-dans-le-marais-divise_VN-202305090206.html 
Le texte suivant est une republication, réécrite pour les besoin du format blog, d'un thread twitter publié par Maxime Genévrier le 9 mai 2023.)

On croit souvent que ce genre de sujet relève juste d’aimer ou pas les vieilles pierres mais il s'agit en fait un bon cas d’école pour comprendre la question du patrimoine en urbanisme et en contexte immobilier tendu, un petit article [thread] illustré. 

D’abord de quoi parle-t-on ? BHV possède déjà une extension au delà de la rue de la Verrerie. Elle est traversante et fait le lien avec la rue du Temple. En voici un plan et les photos des 2 façades.

Et aujourd’hui BHV souhaite annexer le 42 rue de la Verrerie. A ma connaissance le projet n’est pas public (et je ne l’ai donc pas vu) mais il semble qu’il s’agisse de la démolition des 2 parcelles pour réaliser un bâtiment d’un seul tenant. Dans le reportage Jean-François Legaret parle rapidement du problème patrimonial mais on pourrait répondre que le 42 est un bâtiment qui semble sans intérêt (photo) même si les caves sont anciennes, et que c’est l’histoire "naturelle" de la ville que d’évoluer. Emile Meunier quant à lui parle du problème écologique de la démolition de bâti existant, argument plus difficilement réfutable clairement.

Je me permets d’ajouter à ces deux arguments un autre sujet : l’évolution du foncier sur le temps long dans un immobilier tendu comme celui-ci conduit vers plus gros et moins résilient. Car oui il faut savoir que dans un contexte tendu, le foncier a « tendance » à se fusionner. Il ne le fait pas tout seul bien sûr, il s’agit de capitalisation dûe à la rentabilité du foncier en immobilier tendu, comme à Paris et les grandes villes (ici commerciale, mais cela marche aussi avec le bureau, et même l’hébergement).

Or si, sur le temps court, on ne voit pas trop le problème, sur le temps long, il est plus évident. Pourquoi ? Eh bien parce que la fusion de parcelle est globalement irrémédiable en contexte tendu. On ne démolit pas pour construire plus petit car ce n’est pas rentable. Et donc petit à petit, sur des dizaines ou centaines d’années, le foncier et les bâtiments se fusionnent pour ne former progressivement que des méga-blocks de bâtiments qui tendent vers une taille plus grande (et une architecture homogénéisée à l’échelle mondiale). Dans notre cas on pense bien sûr à ces bâtiments-ci (ci-dessous), qui deviendront bien isolés et dont la vie sera sans doute comptée par l’appétit immobilier futur.

Aux USA à peu près toutes les villes ont été mangées par ce phénomène. Je vous propose un petit détour par New-York pour raconter une petite histoire (rigolote en plus) qui fait exemple. Avant 1893, le croisement de la 34ème rue et de la 5ème avenue, c’est ça : 2 maisons bourgeoises dos à dos qui appartiennent à une famille.

En 1893 l’un des cousins obtient l’autorisation de démolir la maison de gauche et de fusionner avec les parcelles à l’arrière sur la 34ème (qu’on ne voit pas sur la photo) pour y faire un hôtel, Il s’appelle Waldorf.

En 1897, son cousin, jaloux, qui s’appelle Astor, fait construire à la place de la maison contigüe, et en fusionnant avec d’autres parcelles, un autre hôtel qui s’appellera Astoria, séparé du premier.

Après réconciliation familiale les 2 hôtels seront un jour reliées par leurs couloirs intérieurs. Mais ce n’est pas fini, car en 1929 L’Empire State Inc rachète les 2 hôtels et les fait démolir pour y construire (eh oui) l’Empire State building.

Loin de moi l’idée de dire que toute fusion d’immeuble conduit à l’Empire State, et d’ailleurs, il est devenu l’un des symboles mondial de sa ville, mais 2 constats : Ce mouvement de fusion n’a a priori que peu de marche arrière. Et il n’est pas résilient (les bâtiments sont souvent difficilement séparables, réutilisables pour autre chose, voir simplement pour une autre enseigne) et sont donc à la fin démolis. et subséquemment il favorise les grands groupes et les franchises qui là encore homogénéisent les centres-villes. Si vraiment BHV veut s’étendre, l’urbaniste, que je suis, demanderais des garanties sur la pérennité des parcelles et l’indépendance des bâtiments à l’intérieur du projet, afin que sur le temps long, ce bloc puisse conserver sa résilience et son identité parisienne, a minima.