Quelques mots sur l'exode urbain et les risques d'étalement

Les deux exodes urbains

« La ville dense a trahi ses habitants » titrait Jacques Ferrier dans Métropolitiques le 27 avril dernier, à l’approche de la fin du confinement. Et effectivement certains habitants, qui auparavant semblaient accepter de vivre dans un espace dense et dans des logements de tailles réduites avec souvent peu ou pas d’espace extérieur privatif (balcon, terrasse ou jardin), ont quitté les centres-villes ou exprimé le souhait de vouloir en partir. C’est ce que certains ont voulu appeler « exode urbain ».
On a beaucoup lu à son propos, d’abord à propos de ceux qui ont temporairement fuit les villes pendant le confinement, puis de manière plus hypothétique à propos de ceux qui souhaiteraient dorénavant quitter les grandes villes, ou un souhait de ce type mais qui reste à préciser. Et il faut bien distinguer les deux phénomènes. Si pour le premier l’affaire est maintenant assez claire (environ 20% des habitants de la zone dense et favorisée francilienne ont quitté la zone pendant environ 2 mois), pour le deuxième les questions sont encore très nombreuses et surlesquelles nous allons nous pencher.

« Paris tu paries Paris que je te quitte ». L’exode est-il vraiment possible ?

D’abord notons qu’en avril 2019, donc un an avant le confinement, 57 % des urbains souhaitaient déjà quitter les centres-villes selon un sondage IFOP qui précisait également que les jeunes étaient plus désireux de quitter les villes (65 % des moins de 35 ans). Mais dans le même temps le solde migratoire francilien restait positif de plus de 100 000 habitants/an.
Une autre étude fréquemment citée depuis le confinement pour soutenir la thèse d’un possible exode urbain (comme ici présentée de façon fallacieuse par RFI il y a quelques jours) annonce que 83% des cadres parisiens souhaiteraient quitter la ville, mais il s’avère que cette étude date en réalité de 2017 comme on le voit là.
De fait on le sait bien, la relation entre l’humanité et les grandes villes, faite d’attraction et de répulsion, ne date pas d’hier comme le contait de manière poétique Pagnol dans Jean de Florette. Elle est même constitutive de l’attractivité des plus grandes villes comme le disait l’article « Come back New York, all is forgiven » du 10 avril 2020 dans le New York Times.

Ensuite, si l’on repart du facteur clé de l’emploi ou de l’activité économique qui pourrait supporter une migration urbaine vers les territoires ruraux, deux solutions semblent s’offrir : soit un changement vers un emploi existant en secteur rural, soit le recours au télétravail.
Concernant le premier c’est la question de la métropolisation et de la dévitalisation économique des zones rurales qui se pose, vaste et difficile question macro-économique qui dépasse le cadre de ce court article de blog.
Concernant le télétravail, facteur souvent cité pour soutenir un tel exode, notons d’abord qu’au plus fort du confinement il a concerné seulement 20% des employés (sondage Odoxa 9 avril 2020), les autres étant non « télé-travaillables » et donc au chômage, ou sur leur lieu de travail pour les secteurs prioritaires. Or de plus le télétravail a temps plein semble vouloir rester minoritaire (parmi les télé-travailleurs en période de confinement 32% en souhaitaient la poursuite de manière régulière, et 41% ponctuelle, selon une enquête sur le télétravail en confinement réalisée par Malakoff Humanis). Notons ensuite que les télétravailleurs ruraux ne participent qu’indirectement par une partie de leur consommation à l’activité économique locale et posent la question de leur ancrage réel dans le territoire.

D’un coté on a donc un souhait ancien de quitter les villes en général surcompensé par le souhait de les rejoindre, et de l’autre une possibilité matérielle nouvelle (le télétravail) qui pourrait permettre de les quitter, mais qui reste minoritaire.
Ces deux facteurs tendent donc à minorer la possibilité d’un exode urbain dans sa globalité mais sûrement pas à l’annuler. Et il reste donc plusieurs questions : comment et où les « exodistes » peuvent-ils habiter ? Et quelle frange de la population qui n’aurait pas franchi le pas avant le confinement cela peut-il concerner ? Peut-on alors parler d’un possible « petit exode » ?

Quel habitat pour un « exode » ?

Concernant le télétravail, étant donné qu’à l’intérieur des 20% de la population active décrite plus haut le télétravail à temps plein semble vouloir rester très minoritaire, il s’agit de se poser la question des lieux d’habitat ou modes d’habitat qui favoriseraient un télétravail entre environ 20% et 80% de temps plein (de 1 à 4 jours par semaine). Au moins deux scénarios semblent possibles :

  • D’abord la résidence secondaire rurale ajoutée à un pied à terre urbain proche du lieu de travail.
    De part son coût important cette solution ne semble pouvoir toucher que les CSP supérieures et les classes sociales favorisées. Elle n’est pour autant pas a priori négligeable mais cette solution pose aussi la question de la distance entre les deux habitats qui ne doivent pas être trop éloignés (moins de 3h ?) pour des déplacements a minima hebdomadaires mais pas vraiment trop proche non plus (sinon quel intérêt?). De plus notons qu’il existe effectivement un parc ancien à bas prix dans de nombreuses zones rurales qui pourraient faire l’objet de réhabilitation privée. Ce parc existe, mais dans les petits centres-bourgs il est souvent moins adapté à la demande post-covid qu’on pourrait le croire (avec souvent des espaces extérieurs de faibles importances entre autre) et cela ne dit pas s’il peut être attractif dans le cadre de cette dynamique socio-démographique de « petit exode ». Les bonnes configurations d’un tel mode résidentiel semblent donc difficile à réunir.

L'habitat de centre-bourg rural n'est pas toujours intrinsèquement adapté à la demande des néo-ruraux.

  • Ensuite un habitat à mi-chemin entre nature et emploi. Or l’offre de logements offrant des espaces extérieurs importants et géographiquement accessibles vers les centres-villes (1 à 4 fois par semaine) sans trop d’encombre est celle de l’habitat périurbain lointain. Il permet en outre par son cout au m2 faible d’avoir un gain de place qui rend crédible une pièce dédiée au télétravail, tout en offrant un accès plus aisé à des espaces paysagers et naturels. Cependant cet accès est parfois plus prétendu que réel et dans des espaces certes naturels mais souvent privés.

En conclusion, a priori peu seront les prétendants à l’exode qui arriveront à concilier leur emploi, leur finance, leur vie de famille (l’emploi et les souhaits du conjoint par exemple) avec une relocalisation lointaine dans un logement adéquat. Dès lors il semble que l’habitat à mi-chemin, donc péri-urbain, semble un candidat plus accessible.

L’étalement urbain nous guetterait donc ?

Bien sûr c’est la crainte qui nait d’un tel constat. Après des années de bataille acharnée contre l’étalement urbain, tout le travail de la sphère urbanistique serait-il près d’être battu en brèche par les conséquences du Covid et par une explosion de la demande notamment pavillonnaire ?
Il est intéressant de constater que l’un des best-sellers dans le domaine de l’urbanisme pendant la période du confinement fut le passionnant ouvrage de Sylvain Grisot « Pour un urbanisme circulaire » dans lequel, s’inscrivant dans une droit lignée de David Mangin et d’Olivier Razemon, il (re)démontre très bien comment l’étalement urbain en tandem avec la motorisation individuelle forment la matrice de la dislocation de la ville, avec le Zéro Artificialisation Nette comme pierre angulaire des réponses à apporter au phénomène.
De même, dans une intervention récente, Jean-Philippe Dugoin Clément posait lui aussi, et peut-être inspiré par Grisot, l’équation insoluble : « Comment concilier une tentation de l’étalement urbain pour gagner en qualité de vie, avec un besoin de reconstruire la ville sur la ville ? L’autonomie alimentaire implique également de limiter l’étalement urbain. On voit bien les lignes de crêtes auxquelles nous serons confrontés dans les mois qui viennent »

Et cette ligne de crête est finalement simple : serons-nous en capacité d’offrir des logements et des quartiers denses rénovés en quantité suffisante pour limiter un potentiel étalement urbain massif ? Au delà de la question sociologique et géographique (l’exode urbain aura-t-il lieu), comment travailler la ville en essayant de rester sur la « crête » ?

Et pendant ce temps l’urbanisme d’espace public fonce à toute vitesse

En effet d’ores et déjà, au niveau des mobilités dont les dynamiques sont plus versatiles que les dynamiques foncières et d’habitat, on voit que les évolutions sont rapides, pour certaines déjà intéressantes et pour d’autres plutôt inquiétantes.
Pendant que se créaient les corona-pistes cyclables, les chiffres de la CCFA (lobby automobile) dans un sondage des souhaits de mobilité post-confinement de mai 2020 montraient une probable augmentation de l’usage de la voiture post-confinement : « Les Français vont privilégier le transport individuel motorisé au moment du déconfinement. Il représente ainsi 70 % des (souhaits pour les) trajets quotidiens, devant le transport individuel non motorisé (13 %) et les transports en commun (10 %). Le vélo tire également son épingle du jeu avec 8 %, devant le bus (4 %) et le métro (4 %) et ce, dans un environnement principalement urbain. Le train arrive en deuxième position des trajets plus longs avec 17 %, devant l’avion (4 %) et le bus longue distance (2 %). »

Et en effet cela s’est vérifié dans les faits. Pendant que la ville bâtie se renouvelle à son rythme bien plus lent, l’espace public en revanche, après des années de fourmillement d’innovation, a réagit en quelques semaines et a vu cette année une réelle explosion en matière de renouvellement des usages. Cette explosion s’est faite au profit des modes actifs (piétons vélos) et des loisirs piétons, et ceci en grande partie gagné sur des espaces auparavant occupés par la voiture, et ce dans les petits bourgs comme dans les plus grandes villes. Même si on le voit dans le sondage, la voiture reste le moyen plébiscité surtout en période de crise sanitaire. Alors comment la ville bâtie peut-elle s’adapter à des évolutions aussi rapides ?

Réadapter la ville bâtie, un temps trop long ?

En effet dans un contexte opérationnel sain, participatif et qualitatif, réadapter la ville bâtie est un travail qui dépasse largement la crise du Covid 19 et même les 10 ans à venir, et ce même s’il faut essayer d’aller vite. De plus il est toujours bon de rappeler que 80% des logements existants dans 30 ans sont déjà construits aujourd’hui.
Il s’agit donc d’essayer de recycler le foncier et réadapter le bâti existant, et vite, pour pouvoir y accueillir le maximum de ménages en quête de bien-être résidentiel. Et l’on sait aujourd’hui très bien par quoi passe cette qualité résidentielle. Elle peut, en schématisant à peine, se résumer à un triptyque simple : des espaces extérieurs privés, de la lumière, et un stationnement (à part dans les grands centres-villes très dotés en Transports en Communs).

Le problème est que ce besoin de réadaptation se heurte à l’autre crise sanitaire : celle de la vétusté et de la dégradation du parc de logement dont l’incident tragique de la rue d’Aubagne en novembre 2018 a été le révélateur à l’échelle nationale. Pourtant le cadre institutionnel et légal de l’action urbaine en quartier dégradé est plutôt puissant et ancien en France, mais il se heurte à des problèmes structurels (d’ordres socio-économique mais aussi opérationnel) aussi bien en matière incitative que coercitive.

Les espaces publics changent donc aujourd’hui beaucoup plus vite que le cadre bâti et le risque est grand de créer des décrochages entre actions sur les espaces publics et actions foncières (espaces publics éphémères qui attendraient leur projet « en dur » qui n’arriveraient jamais, se dégradant, et déqualifiant encore davantage le quartier ; néo-ruraux qui seraient déçus des effets d’annonces de la dynamique locale, etc.). Ces éventuels décrochages auraient des effets délétères certains.

En conséquence, la réadaptation du bâti ancien se fait aujourd’hui en acupuncture et au gré des opportunités alors qu’elle devrait être massive et franche avec des moyens financiers prioritaires et des outils opérationnels simples. Nous avons plus que besoin aujourd’hui et de manière très urgente d’une simplification du droit et des procédures d’aménagement en centre ancien, ainsi que de moyens publics beaucoup plus importants qu’actuellement, sans quoi l’exode urbain, même « petit », même relatif, sera toujours trop important pour la pérennité d’un modèle urbain qui se disloque de plus en plus par son étalement, sa dépendance à l’automobile, et sa chimère de l’accès à la nature.