Urbanisme à la biennale d'art contemporain de Venise

La 56ème biennale d’art contemporain de Venise, sur le thème “All the world’s futures” se tient du 9 Mai au 22 Novembre 2015. Comme l’immensité de l’exposition le suggère (avec ses 55 pavillons nationaux, son immense galerie de la corderie, son labyrinthique pavillon central, et autant d’expositions Off) les sujets abordés sont innombrables. Mais force est de constater que l’urbanisme et la ville s’y taillent la part du lion. Petit tour d’horizon des oeuvres les plus remarquées.

En visitant les allées de la biennale, l’urbaniste en nous est surpris du nombre de représentations inspirées de l’univers spécifique de la cartographie. Nous n’en montrons que quelques unes ici, celles de Tiffany Chung, Qiu Zhijie et Matthew Day Jackson. Elles se saisissent du plan en tant que genre graphique pour exprimer une sensibilité, ou une histoire. On apprécie particulièrement le travail pointilliste de Chung, au feutre, qui met en lumières des applats teintés de nuances subtiles.

Tiffany Chung, 31 days in the Capital of the revolution, Corderie

L’artiste Qiu Zhijie avait déjà marqué les esprits avec ses “cartes mentales” lors de la biennale 2013 . Son travail prend ici une forme plus torturée, plus habitée et moins lisible mais aussi plus novatrice et inspirante pour une cartographie de projet.

La magnifique maquette de Matthew Day Jackson montre quant à elle la représentation de Nagasaki après (pendant ?) l’explosion de la bombe atomique Fat Boy le 9 aout 1945. La dynamique de la géométrie de la maquette, pourtant bien statique, évoque le souffle de l’explosion, alors que la matérialité en reflète la puissance mortifère. Si la solennité de l’oeuvre ainsi que sa noirceur charbonneuse, rendent compte de l’horreur de l’événement, c’est bien le passage à la 3D (maquette) qui donne toute sa force évocatrice à l’oeuvre.

Selon une logique moins démonstrative, plus abstraite, plusieurs artistes présentent des formes de collections, des relevés dont l’effet sériel donne du sens à l’ensemble. A l’image des tableaux de Herman de Vries dans le pavillon néerlandais, collection des terres du monde entier, appliquées en peinture, et dont on peut ainsi observer toute la diversité.

Herman de Vries, pavillon de la Hollande

Sur un procédé similaire, Charles Lim collectionne les photos de Singapour, le long d’un parcours dont on suppose qu’il représente un discours. Ces photos sont recadrées et agglomérées en une frise horizontal quasi abstraite. Cette décontextualisation du matériau d’origine, ici la photo, révèle l’ambiance sans que l’on s’arrète sur un détail en particulier. Très efficace.

Charles Lim, paysages de Singapour, pavillon de Singapour

On avait déjà vu ce type de démonstrations chez Paola Vigano, dans son travail sur le Grand-Paris (les tranches topographiques – voir ci-dessous), et il est intéressant de voir comme les artistes conceptualisent ici cette méthode pour la rendre à la fois plus directe et plus percutante.

(pour rappel) Paola Vigano et Bernardo Secchi, consultation internationale sur l’avenir du Grand Paris, 2009

La biennale est aussi riche de ses mises en scènes ! Et le pavillon chinois laisse admirer cette tonnelle tendue, dont on ne sait s’il s’agit de dizaines de cannes à pêche ?… L’ombre générée par le système, très douce et agréable permet d’imaginer des usages de détentes, ici figurés par de simples petits tabourets.

Liu Jiakun (oeuvre) and OMA (mise en scène architecturale), pavillon de la Chine

Parlons enfin de l’étonnante “machine à présenter des maquettes urbaines” de James Beckett dans le pavillon de la Belgique. Un robot, ayant accès à une bibliothèque de petites maquettes de bâtiments rangées par taille, dispose à la demande les typologies bâties correspondantes à un lieu donné. Le lieu, ici choisi au hasard par la machine est lui-même gravé sur une plaque disposée par l’automate. (voir la vidéo)

Au delà de l’expérience artistique hypnotisante de ce robot, jouant avec des fragments de vies humaines, des morceaux de ville, il laisse imaginer des avancées assez intéressantes, notamment dans le secteur des maquettes. On pense notamment à l’association avec une imprimante 3D pour une fabrication de maquettes totalement automatisée !

Bien sûr ne sont montrées ici que les oeuvres qui ont plu et retenu l’attention, mais la biennale, il faut bien l’admettre, regorge de petits moments de grâce. Peut-être était-ce parce que le thème “All the world’s future” était forcément lié à la ville, toujours est-il que cette édition est très marquée par son rapprochement avec les arts de l’urbanisme, de la cartographie à l’architecture en passant par des oeuvres plus sociales (beaucoup de films). Prochain rendez-vous l’année prochaine pour la biennale d’architecture et l’analyse des correspondances ?…